La "réserve coutumière" de Oundjo

icon_poisson.png

La "réserve coutumière" de Oundjo

L’objectif général de l’étude anthropologique du projet COGERON a été de décrire et d’analyser les modes d’usages, de gestion et d’appropriation de l’espace et des ressources lagonaires dans la région de VKP, à partir de l’exemple de la « réserve » de pêche de la tribu d’Oundjo, une zone à son usage exclusif. Les études antérieures relatives aux ressources halieutiques et aux perceptions des usagers locaux ont en effet révélé l’organisation sociale et spatiale des usages dans le lagon, avec notamment le risque de voir réapparaître des tensions entre les usagers des villages de Koné et Pouembout (en augmentation) et ceux d’Oundjo.

Le choix de centrer l’étude sur la tribu d’Oundjo était assumé : il est évidemment porteur d’un biais, à savoir la spécificité d’un terrain localisé, rendant la généralisation délicate. En même temps, la mise au jour de processus et de mécanismes sociaux et historiques a permis de proposer des hypothèses à validité plus large, qui devraient être testées empiriquement sur des terrains voisins.

Cette approche anthropologique a permis de :

  • Comprendre la genèse, les limites, et la légitimation de la « réserve informelle » d’Oundjo ;
  • Spatialiser les « droits de propriété » (au sens large) revendiqués et/ou reconnus (informellement), avec une mise en perspective historique ;
  • Caractériser les conflits (usage, propriété, limites, etc.) et les modes de résolution ;
  • Identifier les enjeux liés à l’usage et à l’appropriation (et potentiellement à la cogestion) du lagon , ainsi que les groupes stratégiques liés à ces enjeux.

Une réflexion a également été menée sur les enjeux et les limites des notions de cogestion et de patrimonialisation, et des politiques qui leur sont associée. Dans ce contexte, un regard critique a été porté sur le positionnement à mi-parcours du programme COGERON en tant qu’opération de recherche-action associant institutions de recherches et collectivités locales.

Oundjo1_280.jpgLe travail a été effectué par un binôme de deux étudiantes (Poncet, 2010 et Toussaint, 2010, Master 2 « Anthropologie et métiers du développement durable », Université de Provence, Aix) entre mars 2009 et septembre 2010. Outre une revue de la littérature et des discussions et entretiens internes à l’équipe du projet, le travail de terrain était essentiellement basé sur des entretiens (histoire du peuplement, pratiques de pêches, conflits, etc.) avec un recours aux méthodes de l’observation participante. Ces entretiens approfondis et les observations étaient centrés sur les tribus d’Oundjo et de Gatope. Des entretiens complémentaires ont été menés avec les autres acteurs de « l’arène lagonaire », en fonction de l’identification des groupes stratégiques impliqués dans la question des modes d’usage et d’appropriation du lagon de VKP : pêcheurs professionnels et plaisanciers, associations, organisations, collectivités, etc.

Oundjo2_580.jpg

Localisation de la zone d'étude et de la « réserve informelle » de la tribu de Oundjo (3 limites sud revendiquées suivant les personnes rencontrées). L'usine du Nord est en construction sur la presqu'île de Vavouto, à proximité immédiate des tribus de Oundjo et Gatope. Le site de Pinjen, plus au sud, avait été identifié dans un premier temps comme le plus favorable à l'implantation de l'usine, avant d'être écarté suite à des conflits fonciers.

 

Le recours à l’histoire du peuplement de la zone a permis d’identifier les déplacements de groupes sociaux liés à la colonisation, les transformations des hiérarchies sociopolitiques et « fonctionnelles » traditionnelles (chefferie, clans pêcheurs, etc.) pour mieux comprendre la complexité des relations et des légitimités contemporaines.

 

Sur cette base, on a pu retracer la genèse de la réserve informelle ou « coutumière » de la tribu d’Oundjo, depuis l’histoire coloniale (cantonnement indigène et repli sur les ressources) en passant par l’histoire récente - et ici cruciale - des revendications politico-foncières et des initiatives de développement local (GIE de pêche GaOu) dans les années 1970-1980.

 

Ont ainsi pu être mises en lumière plusieurs délimitations sud de la « réserve », pour partie reconnues à la fois au niveau d’Oundjo et à l’extérieur (càd la limite la plus proche de la tribu, à la passe de Koné), et pour partie discutées (càd les deux limites les plus au sud). Ces limites renvoient à des utilisations et des justifications différentes. La limite nord est quant à elle stabilisée mais « poreuse », incluant des usages de Gatope.

 

Ces résultats corroborent la cartographie des activités de pêche réalisée à partir d’enquêtes de pêcheurs en 2008, et qui avait permis de délimiter l’espace lagonaire utilisé de facto uniquement par les pêcheurs de Oundjo. Celui-ci correspond à la plus petite des trois zones revendiquées, limitée au sud par la passe de Koné (zone en bleu sur la carte ci-dessus).

 

Au-delà de l’enjeu de la pêche et du contrôle des ressource marines/halieutiques (qui n’est pas forcément central pour toutes les personnes enquêtées), les études ont débouché sur une description et une analyse de l’arène constituée par les acteurs, leurs interactions et les enjeux qui les mobilisent à l’échelle du lagon VKP.

 

Le croisement entre les volets anthropologiques et juridiques du projet reste à approfondir, mais les enjeux politiques et juridiques d’une formalisation de l’organisation actuelle de l’espace lagonaire ont été analysés. En particulier, dans le cas de la « réserve » de la tribu d’Oundjo, le risque de (re)mettre à jour ou de recristalliser des tensions avec les usagers des villages voisins n’est pas pleinement assumé aujourd’hui. En effet, la plupart des personnes rencontrées ne perçoit pas spontanément l’utilité ni n’exprime la volonté de formaliser le fonctionnement tacite actuel, garant d’une coexistence sans heurts véritables.

 



Contacts :
Pierre-Yves LE MEUR (Institut de Recherche pour le Developpement, IRD)