Crabes de palétuvier

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Suivi des ressources de crabes de palétuvier

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Le projet COGERON a permis de réaliser différentes études halieutiques et écologiques pour établir un suivi de la ressource en crabes de palétuvier dans la zone VKP, grâce à un partenariat avec le programme ZONECO.

Ces travaux font suite au constat dressé en 2006 par deux études de l’IRD (Programmes PNEC et CRISP Nouvelle-Calédonie), qui a décrit les types de pêche dans la commune de Voh et estimé les quantités de crabes pêchées. Le crabe de palétuvier est en effet une ressource d’importance dans la zone VKP (Rocklin, 2006).

La mangrove de Voh est l’une des deux principales zones de pêche du crabe de palétuvier en province Nord (avec l’estuaire du Diahot). Cette pêche est moins développé dans les communes de Koné et Pouembout. Les mangroves de rivière sont particulièrement visées : la baie de Vavuto, à proximité immédiate de l’implantation de l’usine du nord et de la zone de dragage, semble la zone la plus productive.

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La production est élevée : globalement, près de 90 tonnes ont été pêchées en 2006 d’après les enquêtes auprès des pêcheurs, dont 75 % seraient vendues aux colporteurs, sur les stands de bord de route (surtout à la tribu de Oundjo) ou sur commandes de particuliers. La part prépondérante de la production vendue montre que le marché est développé, avec des circuits réglementaires et parallèles, et que cette activité de pêche entre dans le revenu familial de nombreux ménages en tribu. Un état des lieux des filières de commercialisation du crabe réalisé en 2009 par le projet COGERON permet des comparaison intéressante.


Ces informations préalables au projet COGERON avaient suggéré qu’en matière de gestion, l’attention devra être portée :

  • sur les zones sensibles à l’exploitation (nombre élevé de pêcheurs concernés, utilisation importante des nasses) et aux changements environnementaux ;
  • sur le suivi de l’activité commerciale.

Une approche par secteur géographique doit aussi être privilégiée.

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Le crabe de palétuvier n'est pas exploité avec la même intensité sur toute la commune de Voh : réalisée d'après les enquêtes de 2006, cette carte montre que les mangroves de la baie de Vavuto et de la baie de Témala fournissent le plus gros de la production, et supportent les plus forts taux de captures.
(Bailleul, 2006).

 

La cartographie des activités montre par ailleurs que chaque pêcheur possède son ou ses « coin(s) de pêche », qu'il partage le plus souvent avec quelques autres pêcheurs qui habitent à proximité. Il est dans les habitudes de ne pas aller pêcher « chez les autres », ce qui témoigne d'une certaine appropriation informelle de la mangrove. L'usage intensif des nasses sur les bords de rivière vient perturber cette organisation traditionnelle, en augmentant la pression sur la ressource dans les zones également fréquentées par les pêcheurs à pied.

Sur cette base, le projet COGERON a privilégié trois volets consécutifs (avec l’appui du programme ZONECO) :

  • L’étude de l’écologie du crabe de palétuvier à VKP,
  • L’évaluation des méthodes de suivi de la pêche du crabe de palétuvier et des ressources
  • La mise en place d’un suivi de la pêche du crabe de palétuvier à VKP


puce_right.gifL'écologie du crabe de palétuvier à VKP

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L’étude de l’écologie du crabe de palétuvier, et notamment de sa distribution spatiale, a permis d’expliquer en partie la répartition des captures à Voh. Des comptages ont été réalisés en mangrove en avril et novembre 2007 par l’IRD et deux pêcheurs volontaires des tribus de Témala et de Oundjo ont rempli des fiches de pêche régulièrement et de localiser leurs parcours grâce à un GPS de 2007 à 2009.

Globalement, les résultats indiquent que la pression de pêche estimée en 2006 ne semble pas avoir d’impact significatif sur l’abondance de la ressource et la taille des individus, qui apparaissent surtout liées à l’habitat à moyenne (mangrove côtière/estuarienne/de rivière ; type de couvert de palétuvier) et petite (quelques centaines de mètres) échelles (Dumas et al., sous presse). Un élément à prendre en compte dans le contexte de modifications du paysage côtier dans la zone VKP, dans le périmètre de l’usine du Nord, les zones en voie d’urbanisation et les estuaires.



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Sur cette carte, les variations de densités de crabes (cercles) sont bien visibles à l'échelle de la commune de Voh. Le gradient de tons gris montre que le nombre de pêcheurs est plus élevé dans la mangrove de Témala et de la baie de Vavuto, où l'abondance des crabes est la plus élevée. La mangrove au sud de Oundjo, où la densité de crabe est souvent deux fois plus faible, est elle aussi exploitée par un nombre important de pêcheurs. Les estimations de captures par hectare faisaient parallèlement état de prises bien plus faibles que dans les zones estuariennes.
(Carte extraite de Dumas et al., sous presse
).

 

Conséquence de ses relations avec l’habitat, la ressource n’est pas distribuée de manière homogène : la baie de Vavuto semble la plus productive sur le plan biologique, avec les plus fortes densités enregistrées de terriers et de crabes (environ 30 crabes par hectare). Dans la mangrove de bord de mer de Oundjo, les crabes sont deux fois moins nombreux qu’à Vavuto, mais généralement plus gros (fréquemment près de 16 cm). La situation sur la rivière de Témala semble intermédiaire. On constate aussi que les pêcheurs rencontrent rarement de crabes femelles sous la mangrove.
La taille légale des crabes étant de 14 cm, les écarts observés sur la structure et l’abondance de la ressource suivant la zone de mangrove ont de fortes répercussions sur la pêche, car les pêcheurs sont dépendants du type de mangrove et des ressources qui se trouvent sur leur territoire de pêche. Appuyant les conclusions issues des enquêtes halieutiques, ces résultats confirment la nécessité d’une gestion spatialisée de la pêche au crabe (par ex. en distingant les mangroves de bord de mer, la baie de Vavuto et le secteur de Témala).

 

Par ailleurs, l’abondance de crabes varie fortement au cours du temps, d’une semaine à l’autre ou d’une année à l’autre. Une augmentation significative de la densité moyenne de crabes dans la zone a ainsi été enregistrée en 2009 dans les suivis des deux pêcheurs équipés d’un GPS.

 



puce_right.gifEvaluation des méthodes de suivi de la pêche du crabe de palétuvier et des ressources

Sur la base des informations halieutique et écologiques disponibles, la faisabilité d’un suivi de la pêche au crabe et/ou de cette ressource sur VKP a été analysée. Quatre méthodes de suivi ont été expérimentées dans un premier temps : les comptages des crabes le long de transects expérimentaux sous les palétuviers, les pêches expérimentales à la nasse, et la mesure des captures au retour (fiches de pêche) ou pendant (positionnement des prises avec l’aide d’un GPS) de leur sortie, dans le cadre de suivis participatifs.

 

Les méthodes proposées offrent des qualités et des contraintes différentes :

Suivi-crabes6_160.jpgLes comptages expérimentaux in situ fournissent des données représentatives des populations de crabes sous la mangrove. Mais ils demandent une logistique trop complexe (période limitée par les marées basses, difficulté de progression, faible détectabilité des crabes en l’absence d’un pêcheur expérimenté, etc.) pour être répétés avec une fréquence et un nombre de sites suffisants pour tenir compte de la variabilité spatio-temporelle mise en évidence.

 

 

Suivi-crabes7_160.jpgLes pêches expérimentales à la nasse prospectent un habitat restreint : les bords de mangrove et chenaux. Le sex ratio y apparaît moins déséquilibré que sous les palétuviers, grâce à une meilleure représentation des femelles dans les prises. Les nasses sont par ailleurs peu sélectives sur la taille des individus. Toutefois, les données de prise par unité d’effort (utilisées comme indice d’abondance) présentent une plus grande variabilité que les comptages en mangrove, et les difficultés logistiques sont aussi importantes (nécessité d’une embarcation, efficacité dépendante des marées et parfois nulle, etc.).

 

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Les données collectées au retour des sorties de pêche concernent seulement les crabes d’une taille suffisante pour intéresser les pêcheurs (10 cm voire 14 cm, la taille légale), et ne permettent donc pas de fournir des données représentatives de toute la population. Cette pêche est cependant efficace à 100 % sur les crabes en taille d’être exploités. Cette méthode est en outre la seule qui permette une augmentation sensible de l’effort d’échantillonnage à faible coût, en l’appliquant à un réseau de pêcheurs complétant eux-mêmes des fiches de pêche. Les informations collectées sur la ressource via des fiches de pêche (ex. prises par unité d’effort ou CPUE, tailles) apparaissent globalement pertinentes pour la gestion des pêcheries de crabes de VKP.




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L’analyse des données collectées par les pêcheurs équipés de GPS pendant leurs sorties (voir le documentaire video IRD sur Terre.tv) a montré que cette méthode fournissait des informations convergentes par rapport aux comptages expérimentaux in situ, tout en démultipliant la surface et la période prospectée (Dumas et al., sous presse). Ces données permettent en effet d’estimer des densités d’individus de taille exploitable grâce à la mesure des distances parcourues pendant la sortie. Elles restent cependant difficiles à collecter en routine par un nombre important de pêcheurs (formation, régularité, équipement, etc.), et nécessitent un temps de traitement important sous SIG.

Ces études ont aussi montré que certains pêcheurs de crabes pouvaient jouer le rôle de para-scientifiques et assurer un suivi spatio-temporel fin sur leurs zones de pêche (avec l’aide d’un GPS). Cette alternative pourrait être utile dans le cadre de suivis localisés sur des zones sensibles, comme la baie de Vavuto, à proximité du site d’implantation de l’usine du Nord, et être intégrée au dispositif de suivi opéré par l’industriel KNS sur le long terme.

 

Globalement, dans le cadre d’un suivi de la pêcherie de crabes de VKP, les résultats suggèrent qu’une approche participative via des fiches de pêche (indiquant les quantités pêchées, la taille et le sexe des crabes, le lieu et la technique de pêche, et la durée de la sortie) constitue une alternative réaliste et pertinente aux observations in situ, dans les limites décrites précédemment, en particulier si l’on s’attache à améliorer l’évaluation de l’effort de pêche, jusque là limité au temps passé par sortie.

 

En effet, dans le cas de la pêche à pied (majoritaire à VKP), le temps nécessaire à la capture des crabes dans leurs terriers introduit un biais dans la mesure de l’effort de pêche effectif, car il ne participe pas au temps de pêche réel. De plus, il induit une saturation des rendements par heure de pêche au-dessus d’une certaine abondance, dépendante du pêcheur (efficacité/dextérité de capture) et du site (pour des raisons écologiques). C’est en substance ce que montre une étude réalisée à partir des données du suivi des deux pêcheurs équipés de GPS entre 2007 et 2009 (Frotté, 2009), dont les prises de crabes par unité d’effort (CPUE) ont été calibrées aux estimations de densité de crabes pur deux pêcheurs sur trois sites (Lou Frotté, M2 Agrocampus Ouest / IRD). Les CPUE peuvent être considérées comme un indice d’abondance précis jusqu’à une certaine valeur seuil qui peut varier d’un site à l’autre (cf. graphique ci-dessous). Cet indice apparaît donc sensible à une diminution de la ressource sur la zone VKP par rapport au niveau d’abondance actuel. Il est pertinent pour détecter une raréfaction des crabes de palétuvier de taille exploitable dans les terriers.

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Ce graphique présentent les ajustements réalisés entre CPUE et abondance de crabes à l'aide d'un modèle non linéaire traditionnellement employé pour représenter les relations proies-prédateurs. Seul le temps passé à la recherche de crabes dans la mangrove pendant la sortie de pêche a été pris en compte dans la valeur de l'effort de pêche. Au-dessus d'une densité voisine de 10 crabes par km parcouru (voire 8 crabes/km dans la mangrove côtière de Oundjo (Xujo), où l'abondance des crabes est plus faible que dans les zones estuariennes de Vavuto et Témala), une augmentation de l'abondance n'induit pas une augmentation sensible des CPUE (plateau de 4 à 6 crabes/h selon les sites). Cet indice n'est donc précis et fiable que pour les abondances faibles à moyennes par rapport à celles qui ont été enregistrées sur la période 2007-2009.
(Frotté, 2009)

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)



puce_right.gifMise en place d'un suivi de la pêche du crabe de palétuvier à VKP

Afin de mettre en application les résultats des études précédentes, un suivi opérationnel d’un réseau de 10 pêcheurs sentinelles de crabe de palétuvier a été initié en 2010. Un guide synthétique a été produit, accompagné d’un tableur Excel pour faciliter la saisie et le calcul des indicateurs (programme ZONECO, Frotté, 2009).

Les sites suivis couvrent les principales zones de pêche sur la zone VKP (Témala, Voh (baie de Vavuto) et Koné) dans un seul type de mangrove (zones estuariennes) pour améliorer la comparabilité des estimations en s’affranchissant du facteur Habitat à moyenne échelle.

Le temps de capture moyen d’un crabe a été estimé pour chaque pêcheur dans les sites considérés dans le suivi.

La mise en place de ce dispositif participatif « grandeur nature » s’est heurtée à des difficultés pratiques pour identifier des pêcheurs réellement motivés et fiables sur toute la zone d’étude, et pour installer une relation de confiance. Il a toutefois donné ses premiers résultats en 2010 (cf. graphique) et sa faisabilité a été démontrée.

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L'évolution de l'abondance de crabes par km entre 2007 et 2010 (année du début sur suivi sur le zone de Koné) est différente suivant les zones. Sur Vavuto, l'abondance de crabes apparaît en diminution par rapport à 2007, contrairement à la zone de Témala. La situation est plus stable sur Xujo (Oundjo), qui a été exclue du réseau de suivi car le type de mangrove est spécifique. En 2010, le site de Koné montre une abondance intermédiaire aux sites de Vavuto et de Témala.

En l’absence de contrainte réglementaire, la pérennité de ce suivi volontaire reste cependant liée au maintien des relations avec les pêcheurs impliqués, grâce à des contacts réguliers et la restitution des résultats. Il est donc dépendant de la volonté de la province Nord de le conserver sur le long terme, en mobilisant par exemple un réseau de pêcheurs professionnels déjà impliqués dans une logique de déclaration de leurs captures (fiches de pêche). Il permet alors la collecte de données en routine.

Cette méthode est en outre transposable à d’autres sites, à condition de calibrer préalablement les données des pêcheurs sélectionnés en les accompagnant au cours d’une sortie de pêche.


 

Contacts :
Marc LEOPOLD, Pascal DUMAS (Institut de Recherche pour le Developpement, IRD)