Filière des produits de la mer

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Filière des produits de la mer

Du fait du brusque développement local impulsé par le projet Koniambo à VKP, la demande locale en produits lagonaires risque d’augmenter considérablement, entraînant une augmentation des pressions sur la ressource et une modification des stratégies de commercialisation des pêcheurs. Il convient alors de comprendre le fonctionnement actuel de la pêche lagonaire (Activités de pêche des poissons lagonaires et Suivis des ressources » Crabe de palétuvier) ainsi que de la valorisation de ses produits.

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Les filières de valorisation des produits lagonaires ont été analysées à l’occasion du stage d’Arnaud Bonmarchand (Bonmarchand, 2009 pdf) en 2009 dans le cadre du projet COGERON. Des enquêtes ont été réalisées auprès de 87 pêcheurs des tribus de Boyen, Témala, Ouélisse, Gatope, Oundjo et Bako et des villages de Voh, Koné et Pouembout. Par ailleurs, 9 colporteurs, 17 magasins, restaurants et collectivités de VKP et 4 GMS du Grand Nouméa ont été enquêtés. Les quantités suivies le long des filières permettent une photographie des enjeux à l’œuvre. Nous l’illustrons dans le cas des poissons lagonaires.


puce_right.gifLe crabe de palétuvier

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Vente directe de crabes en bord de la route territoriale, Tribu de Oundjo.

La production de crabes de palétuviers des trois communes de VKP a été estimée à environ 93 tonnes au cours des 10 mois de la saison de pêche 2009 (la pêche et la commercialisation sont interdites en janvier et décembre), dont 60 % (56 tonnes) auraient été commercialisés. Tout comme les poissons lagonaires, les crabes sont vendus surtout localement (35 tonnes), ainsi que sur le Grand Nouméa (19 tonnes), voire sur la côte Est (2 tonnes). Le chiffre concernant la vente locale est à relativiser car les pêcheurs vendent à des particuliers dans la zone mais il apparaît qu'une partie difficilement quantifiable est destinée à des proches résidant sur le Grand Nouméa.

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Circuits de vente des crabes de palétuvier dans la zone VKP
Sources : données d’enquête 2009

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Ce niveau des ventes de crabes de palétuvier en 2009 (56 t) peut être rapproché des estimations réalisées pour l’année 2005 dans la seule commune de Voh, qui concentre l’essentiel des activités commerciales sur cette ressource. Le volume des ventes avait été estimé à 63 t environ, dont 65 % (41 t) via les colporteurs, en considérant que la vente locale persistait malgré la fermeture légale en décembre et janvier. Selon ces estimations, le niveau global des ventes de crabes n’aurait donc guère évolué entre 2005 et 2009, mais les circuits courts (vente directe dans la zone VKP) auraient connu un essor important pour devenir majoritaires aujourd’hui. Cette tendance est intéressante dans la mesure où elle permet d’alimenter aujourd’hui un marché local en expansion sans augmentation de la pression sur la ressource.


 

puce_right.gifLes poissons lagonaires

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Vente de poissons à un colporteur, à destination des marchés de Nouméa.

L’étude a estimé la production annuelle de poissons lagonaires à 190 t en 2009, dont 60 t sont données, 77 t autoconsommées et 60 t vendues. Les 60 t vendues représentent un chiffre d’affaires de près de 25 millions XFP en première vente, dont 16 millions XFP réalisés dans la zone VKP ou sur la côte Est, essentiellement par des pêcheurs non professionnels, par des ventes directes à des particuliers. Les 9 millions XFP restant sont réalisés principalement par des pêcheurs professionnels dans des circuits faisant intervenir des colporteurs. Dans ces circuits à intermédiaires, le prix de vente moyen se monte à 700 XFP/kg, répartis entre marges et charges de l’intermédiaire (respectivement 31% et 22%), marges et charges du pêcheur (respectivement 33% et 14%).

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Circuits de vente des poissons lagonaires dans la zone VKP
Sources : données d’enquête 2009

 

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)

 

Les ventes directes aux particuliers échappent globalement au cadre légal. Malgré cela, elles sont admises localement comme pouvant couvrir les frais d'une pêche d'abord considérée comme un loisir et qui concerne un grand nombre de ménages. Pour pénalisant qu'elles puissent paraître pour les pêcheurs professionnels, ce n'est pas ici que se situent les perspectives d'extension des marchés.

 

Dans les circuits plus longs, les transactions se font sur la base de la confiance réciproque. Les résultats sont ambigus parce que malgré une répartition des coûts plutôt favorables aux pêcheurs, ceux-ci jugent souvent les prix trop bas et leur capacité de négociation trop faible. Les efforts actuellement entrepris des représentations des pêcheurs professionnels au niveau provincial et territorial visent à modifier ces asymétries perçues.

 

 

 

Des scénarios d’évolution de la pêche ont été réalisés pour les poissons lagonaires (ils pourraient être étendus de la même façon aux crabes de palétuvier). Au moment de l’enquête, la population de la zone était estimée à 9600 habitants, qui consomment 170 t de poisson issues du lagon de VKP. Si on s’en tient aux prévisions du SDAU, cette population devrait augmenter de 65% d’ici 2015, ce qui correspondrait à une augmentation de 110 t/an de la consommation de poissons du lagon, sous l’hypothèse de la permanence des habitudes alimentaires. Si on estime à 20 t/an la quantité pêchée par les nouveaux arrivants (pêche de loisir), le déficit d’offre atteindrait 90 t/an (Guillemot et al., 2009), soit une multiplication par quatre de la vente de poissons du lagon dans la zone. Selon l’hypothèse d’un report sur la zone VKP de la production actuellement écoulée à Nouméa et sur la côte Est (comme ce qui est partiellement observé sur la filière du crabe de palétuvier), le déficit resterait de 60 t/an environ. Deux scénarios sont alors envisageables :

 

 

 

Scénario 1

 

 

 

Le premier scénario table sur une augmentation des captures dans le lagon VKP.

 

Cela est possible par une augmentation du nombre de pêcheurs commercialisant leurs produits, et/ou par une intensification de l’activité des pêcheurs actuels (professionnalisation de la filière, etc.). Doubler les prises en poissons lagonaires permettrait certes de répondre à la demande locale et de développer la filière en assurant de meilleurs débouchés aux pêcheurs, mais ce scénario, quelle que soit sa déclinaison, aurait une influence sur la composante environnementale du système.

 

La pression actuelle semble proche du seuil de surpêche près de certains récifs et de zones de mangrove, bien que ce risque soit difficilement mesurable (voir carte ci-dessous). A terme, la baisse (localisée) des ressources pourrait avoir des répercussions sur deux composantes du système : l’économie des pêches et les relations sociales, qui pourraient être affaiblies par une diminution des dons et/ou une rationalisation économique de la gestion des surplus de pêche se détournant des logiques de la réciprocité, et par la réaffirmation des revendications de certains groupes sur la zone maritime, dans le but d’obtenir un usage exclusif des ressources restantes.

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On considère généralement que le risque de surpêche dans les récifs coralliens survient au-dessus de 1 tonne par km² et par an, et qu’il est important au-dessus de 5 tonnes. Selon ces références, la pression sur les ressources en poissons du lagon VKP est encore raisonnable dans l’ensemble, mais des zones apparaissent plus fragiles : le récif barrière, les récifs intermédiaires et les bords de mangroves.
(Guillemot et al., 2009)


Scénario 2

 

Le second scénario consiste à répondre à l’augmentation de la demande en poissons par un approvisionnement extérieur au lagon de VKP: poissons lagonaires et/ou hauturiers (thons notamment) en provenance d’autres communes de la province Nord.

Assorti d’une maîtrise locale des captures de poissons lagonaires à travers des mesures de conservation et de régulation, ce scénario permettrait de reporter une partie de l’effort de pêche supplémentaire hors du lagon de VKP. En préservant la ressource de VKP, cette logique priverait cependant la zone d’une possibilité d’un développement économique de la pêcherie locale. Par ailleurs, les nouvelles réglementations devront aussi faire face aux enjeux d’appropriation et de légitimation, que l’essor quasi-inévitable de la pêche de plaisance devrait raviver (voir perception locales des enjeux de gestion du lagon).

 


 

L’augmentation démographique de la zone entraînera une modification des circuits de commercialisation, notamment du fait de l’augmentation de la demande en produits de la mer et de la méconnaissance des circuits locaux par les nouveaux arrivants. Le choix est ouvert pour la province et les institutions compétentes en matière de gestion et de gouvernance des zones littorales. La puissance publique dispose des leviers nécessaires pour orienter les évolutions vers un développement des filières marchandes, vers une option plus conservationniste, ou vers des scénarios intermédiaires à ceux présentés ci-dessus.

 

Il semble que l’activation de ces leviers gagnerait à se faire de façon participative, même si le risque est réel de rompre avec le consensus apparent autour des règles préexistante de gestion, et de raviver les tensions latentes ou d’en générer d’autres. Il importe notamment, du fait de la priorité actuellement donnée à l’usine et à ses emplois induits, de raisonner l’avenir de la pêche non pas de façon sectorielle, mais de l’articuler, dans une approche territoriale de développement local, aux grandes dynamiques économiques et sociales que connaît la zone.

 



 

Contact :
Jean-Michel SOURISSEAU
Institut Agronomique néo-Calédonien, IAC / Cirad