Systèmes d’activités des ménages

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Systèmes d'activités des ménages

L’étude des systèmes d’activités des ménages de pêcheurs de la zone VKP contribue à l’accompagnement possible des transformations à l’œuvre pendant la construction de l’usine du Nord, à travers la compréhension des stratégies des ménages. Elle étudie en particulier la complexité de leurs systèmes d’activités, afin de formaliser certains enjeux de gestion et leur implication en termes de politiques publiques.

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Pêcheurs plaisanciers de poissons lagonaires (avec en bas à gauche une espèce emblématique, le tazard du lagon) et pêcheurs professionnels d'holothuries, en bas à droite.

 

Le travail a été conduit par Morgane Moënne, (Moënne, 2011, M2 SupAgro, Montpellier), avec l’appui de Jean-Michel Sourisseau (IAC/Cirad) et de Jean-François Bélières (Cirad) dans le cadre du projet COGERON. Il a été réalisé à l’échelle du ménage dans les trois villages (Voh, Koné, Pouembout) et six tribus de bord de mer et de fond de vallée (Baco, Oundjo, Gatope, Témala, Ouélisse et Boyen) de la zone VKP.

 

Au total, 65 ménages (soit un total de 220 actifs dont 192 pêcheurs) ont été enquêtés entre mai et septembre 2010. Le guide d’entretien comprenait un volet introductif centré sur le pêcheur et sa famille ; les objectifs familiaux étaient ensuite relevés, puis les activités de chaque membre du ménage étaient détaillées avec précision.

 

Les données collectées ont été analysées à deux échelles différentes : celle de l’individu et celle du ménage. En effet, la logique sectorielle observée à l’échelle de l’individu n’est pas suffisante pour expliquer l’ensemble des combinaisons d’activités observées à l’échelle du ménage, où d’autres logiques apparaissent.

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A l’échelle des individus la pluriactivité est généralisée : sur les 192 actifs pêcheurs de notre échantillon, seules 8 personnes ne vivent que de la pêche. Les actifs pêcheurs combinent cette activité de multiples façons avec d’autres activités extractives (chasse, agriculture, élevage), du salariat, de l’entrepreneuriat et des activités de représentation.

 

Les activités salariales et entrepreneuriales occupent une place prépondérante dans le temps de travail et les recettes monétaires de l’ensemble des actifs pêcheurs, mais une distinction entre les pêcheurs professionnels, les pêcheurs « semi-professionnels » (càd ayant une activité à caractère professionnel sans posséder une licence réglementaire) et les pêcheurs plaisanciers amène à nuancer ce constat. Si le salariat semble se développer au détriment de l’activité de pêche dans le cas des pêcheurs plaisanciers, ce n’est pas le cas pour les pêcheurs professionnels et « semi-professionnels » : ils y ont au contraire recours de manière temporaire pour générer des revenus leur permettant de maintenir leur activité principale. Enfin, le maintien de l’agriculture et de la chasse - qui pèsent peu dans les recettes monétaires mais qui prennent tout leur sens lorsqu’on considère leur valeur non marchande via le calcul du produit brut - illustre la place non négligeable que ces activités rurales occupent dans le raisonnement stratégique des individus.

 

L’analyse de la combinaison des activités à l’échelle du ménage présente des résultats similaires à ceux à l’échelle de l’individu : les ménages de pêcheurs de VKP sont pluriactifs et privilégient des combinaisons d’activités complexes de plus de trois activités. Les comportements semblent cependant plus homogènes et les activités rurales restent au cœur des systèmes : les deux tiers des ménages combinent la pêche avec de la chasse, de l’agriculture et du salariat, qu’ils complètent éventuellement avec des activités de représentation. Le lieu de résidence et la taille du ménage ont un impact sur les combinaisons adoptées : les ménages en tribu consacrent en moyenne trois fois plus de temps à la pêche et cinq fois plus de temps à l’agriculture que les ménages en village (qui s’orientent plutôt vers le salariat et l’élevage), mais pour des recettes inférieures. Les écarts de recettes et de revenus constatés entre ces deux types de ménages sur VKP sont toutefois moins élevés que ce qui est observé traditionnellement en province Nord.

Menages3.pngComposition des revenus hors agriculture des 65 ménages de l'échantillon

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Composition moyenne des revenus des différentes catégories de ménages

 

Le changement d’échelle apporte un éclairage nouveau sur la manière dont les actifs raisonnent et combinent leurs activités, en les considérant non plus comme des individus indépendants mais bien comme des membres d’un même système plus large qui les englobe. C’est à l’échelle du ménage que les activités s’articulent et se complexifient et que les choix des individus trouvent souvent toute leur cohérence.

 

Les nouvelles opportunités d’emploi salarié non qualifié liées au projet minier Koniambo (essentiellement des contrats temporaires de type CDD) placent le projet en concurrence directe avec la pêche depuis le début du chantier de construction en 2007, particulièrement en ce qui concerne les actifs les plus jeunes : les individus se tournent préférentiellement vers cette activité qui garantit un revenu plus régulier que la pêche. Cependant les activités rurales comme la pêche, la chasse, l’agriculture et l’élevage ne sont pas abandonnées pour autant. En particulier, la pêche des holothuries connaît un certain essor sur le Plateau des Massacres suite à la mise en place d’un système efficace de cogestion.

 

L’économie de la zone VKP reste clairement rurale, ce que souligne l’importance de leur valeur non marchande (autoconsommation, dons, échanges). On pourrait parler d’une identité qui s’exprime par un fort attachement à la terre et au lagon et qui expliquerait en partie le fait que les actifs ne se tournent pas systématiquement vers le salariat malgré les salaires élevés et la situation de plein emploi que connaît actuellement le territoire.

 

Le développement économique de la zone se traduit par une augmentation du nombre de bateaux de plaisance et de l’utilisation du lagon à des fins de loisir, mais aussi par une demande accrue en produits de la mer qui n’est pas satisfaite par l’offre actuelle. Ce constat, qui induit de nouveaux débouchés à l’échelle locale, laisse présager des perspectives favorables d’évolution pour le commerce des produits de la mer sur VKP.

 

Le fort degré de pluriactivité et les possibilités d’arrangements internes entre leurs membres facilitent la recomposition des systèmes d’activités en fonction des opportunités qui se présentent et leur confèrent une flexibilité indéniable. Les ménages de pêcheurs de la zone VKP s’adaptent aux changements, tout en conservant une activité de pêche qui pèse sur le marché local et qui a de l’importance dans les stratégies. Le faible niveau d’information dont les ménages disposent sur les évolutions de l’emploi salarié à la fin de la phase de construction de l’usine de Vavouto génère des incertitudes et des inquiétudes qui limitent l’horizon stratégique, même à court terme, et invitent donc à conserver souplesse et complexité des systèmes. Dans ces conditions, il est probable que perdurent des stratégies composites, en même temps qu’un frein au développement de la spécialisation de la pêche via sa professionnalisation.

 



 

Contact :
Jean-Michel SOURISSEAU
Institut Agronomique néo-Calédonien, IAC / Cirad